L’un des points forts des saisons 2006-2007 et 2007-2008 du Madrigal de Lille sont des oeuvres composées sur les poèmes d’Emily Dickinson :
- Samuel BARBER : Let down the bars, o Death !
- Elliott CARTER : Heart, not so heavy as mine
- Raymond SCHROYENS : Six Dickinson Miniatures
- Summer for thee
- Alter ? When the hills do
- Heart, we will forget him !
- Parting
- I took my power in my hand
- I died for beauty
Emily DICKINSON
Emily DICKINSON (Etats-Unis 1830-1886), inconnue de son vivant, est maintenant considérée comme l’un des fondateurs de la poésie américaine du XIXème siècle.
Emily Dickinson a passé la majeure partie de sa vie recluse dans une chambre de la maison de ses parents à Amherst, et, excepté cinq poèmes (dont trois furent publiés anonymement et un autre sans que l’auteur en ait eu connaissance), son immense œuvre resta inédite et cachée jusqu’après sa mort.
“Oses-tu voir une âme en incandescence ?”
Cette question au ton dramatique, impérieux, provocant, Emily Dickinson l’adresse à quiconque se penche sur son œuvre. La réponse, empreinte d’un mystérieux effroi, elle la fournit elle-même, à la fois acteur et témoin, avec cette capacité de dédoublement qu’elle possède à l’extrême. Ordre est donné au curieux de se blottir sur le seuil, comme si la forge intérieure était un sanctuaire interdit, le lieu d’une activité sacrée transcendant celle du Dieu du Feu de la mythologie antique, Héphaïstos ou Vulcain. D’emblée une distance est posée entre le poète et le lecteur ignorant ou incrédule qui voudrait saisir le secret de la création. Une “âme en incandescence” ne s’explique pas ni ne s’analyse ; elle mérite le silence de la contemplation, un respect religieux. Peut-être faut-il voir dans ce mouvement d’orgueil l’effet d’une frustration ressentie à l’orée d’une carrière littéraire manquée mais dont on peut à bon droit se demander si, les circonstances ayant été autres, elle ne se serait pas épanouie tout comme celle de ses contemporains, Hawthorne, Melville, Poe ou Whitman.
Claire Malroux (traductrice d’Emily Dickinson) – sur le site des Ed. José Corti (source)
Toute sa vie, Emily Dickinson se sera penchée sur le mystère de l’absence en questionnant la mort, la nature, l’âme, Dieu, l’existence. Elle ne les contemple pas de l’extérieur, à la manière de bien de ses aînés Romantiques, pour leur sustituer son propre discours, mais se coule en eux ou les réflechit, les laissant affleurer à travers le prisme de son inépuisable curiosité et d’une multitude d’approches, de rapports inatendus, voire incongrus, qui déroutent et stimulent son lecteur en une spirale sans fin.
Le terme employé pour décrire le hiatus, la déchirure, la négation du temps, est le mot blank. Il désigne un espace vide, lacunaire, impossible à combler – et il est assez significatif qu’il s’applique d’abord au papier, à l’écriture. Le néant hante Emily Dickinson à l’instar de Mallarmé. À la page vierge, à l’azur, correspondent la neige, le vide entre les mots, “sur un disque neigeux Points Minuscules –”. En témoigne sa graphie si particulière, où ceux-ci forment des blocs séparés par des tirets. Les vers sont suspendus dans l’espace, constellations musicales et sémantiques, laissant le sens circuler en tous sens comme l’air (…)
Claire Malroux (traductrice d’Emily Dickinson) – Préface à « Une âme en incandescence » – Ed. José Corti – (source)
Sur le web (en français) :
- Wikipedia : article et galerie d’image
- Wikipedai : article en anglais (plus complet)
- Site des éditions José Corti
- Site Inventaire-Inventions
- Site Poezibao : interview de Claire Malroux, traductrice d’Emily Dickinson
Samuel Barber
Compositeur américain (1910-1981).
La musique de Samuel Barber, révélant une grande maîtrise construite à partir de sensibilités et de structures romantiques, est à la fois lyrique, complexe du point de vue rythmique et riche en harmonies.
Extrait de la base de documentation Brahms (IRCAM)
Sur le web :
- Wikipedia : article et galerie d’images
- Wikipedia : article en anglais
- Base de documentation BRAHMS de l’IRCAM
- Editions discographiques Naxos (en anglais)
Let down the bars, o Death
The following summer (1936), when Barber and his friend Menotti were staying at an idyllic mountain location near Salzburg, he wrote ‘Let Down the Bars, O Death’, where expressive discords within a strictly chordal texture and abrupt minor/major shifts frame tender, ambivalent words by Emily Dickinson. He commented in a letter to his parents, ‘I wrote a little chorus the other morning, quite good, it will be all right for someone’s funeral’.
Extrait du Livret du disque Naxos
Let down the bars, O Death
Let down the bars, O Death!
The tired flocks come in
Whose bleating ceases to repeat,
Whose wandering is done.
Thine is the stillest night,
Thine the securest fold;
Too near thou art for seeking thee,
Too tender to be told.
Traduction (Keith Geaney & Michel Pirson pour Le Madrigal de Lille)
Baisse la barrière, ô mort !
les troupeaux fatigués rentrent
leur bêlement ne se répéte plus,
leur errance s’achève.
La nuit la plus tranquille est tienne,
L’enclos le plus sûr c’est le tien ;
Tu es trop proche pour que l’on te cherche,
trop tendre pour que l’on parle de toi.
Elliott Carter
Compositeur américain, né en 1908.
Tout compositeur dont la carrière s?’étend sur sept décennies – et cela continue – a déjà démontré une certaine faculté de résistance. Mais nous avons d?’autres raisons, plus importantes qu?’une simple longévité, de considérer Elliott Carter comme le plus éminent compositeur américain actuellement en vie, et l?’un des principaux compositeurs du monde entier. Son nom est devenu synonyme d?’une musique à la fois puissante de par sa structure, extraordinaire dans son expression et d?’une virtuosité éblouissante: une musique exigeant à la fois beaucoup de l’?auditeur et de l’?interprète mais qui apporte encore davantage en retour.
Introduction à la musique de Carter par Jonathan Bernard (source)
Elliott Carter prit conscience que:
» l’aspect intéressant par excellence dans la musique était le temps- la façon dont il s’écoule ».
Pour lui les éléments musicaux constituaient « les étapes transitoires d’une formation temporelle à une autre » et non les éléments statiques.
(cf. Max Noubel, Elliott Carter ou le temps fertile, Contrechamps, Genève, 2000)
Esprit de grande rigueur, il établit des structures très complexes, à partir d’éléments techniques et musicaux nouveaux , tels:
- les polyrythmes,
- les modulations rythmiques
- le traitement des timbres
- l’abandon de tout système, autant du système tonal que des systèmes sériels,
- la distance prise aussi avec les métriques classiques autant qu’avec les musiques aléatoires et du hasard…
- Ses recherches pointues menées sur « les hauteurs relatives »,
- La notion nouvelle d’ « accords cartériens » : c’est un ensemble de notes émises de façon harmonique, simultanée ou bien successive, utilisant tous les demi-tons , les intervalles sont notés avec les chiffres 0 à 11, chaque note correspondant à un chiffre de la gamme).
- L’ organisation temporelle de la musique est repensée dans son flux, sa continuité, ses modulations, son rythme, sa structure, sa métrique.
- C’est encore le « temps », point central de toute sa pensée de créateur, qui est pensé à plus grande échelle dans l’oeuvre entière .
Jean-Louis Foucart (source)
Sur le web :
- Wikipedia : article français – article anglais (plus complet)
- Base documentaire BRAHMS de l’IRCAM
- Site du CIRM – Centre National de Création Musicale
- Notice de Jonathan Bernard sur le site boosey.de
- Article très documenté sur le blog de Jean-Louis Foucart (à l’occasion du prochain centenaire du compositeur)
- Site du centenaire (en anglais – en construction)
Heart, not so heavy as mine (1938)
Heart, not so heavy as mine,
Wending late home
As it passed my window
Whistled itself a tune
A ditty of the street
Yet to my irritated ear
An anodyne so sweet.
It was as if a bobolink
Sauntering this way
Carolled and paused
Then bubled slow away.
It was as if a chirping brook
Upon a dusty way
Set bleeding feet to minuets
Without the knowing why.
Tomorrow the night will come again
Weary, perhaps, and sore.
Ah, bugle, by my window
I pray you pass once more.
Traduction (Keith Geaney & Michel Pirson pour Le Madrigal de Lille)
Un cœur, pas aussi lourd que le mien
qui rentrait tard à la maison,
passant devant ma fenêtre,
il sifflait pour lui-même une mélodie.
Un air désinvolte, une ballade,
une comptine de la rue,
mais à mon oreille enflammée
c’était un remède si doux.
C’était comme si un goglu des prés*
qui se promenait par ici
chantait, s’arrêtait, chantait encore,
puis s’en allait, tout doux, roucoulant.
C’était comme si un ruisseau pépiant
sur son chemin difficile
faisait danser le menuet à des pieds sanguinolents
sans bien savoir pourquoi !
Demain reviendra la nuit
épuisée, peut-être, et douloureuse.
Ah, clairon, passe encore, je t’en prie,
devant ma fenêtre.
* sur le goglu des prés (et la traduction des noms d’oiseaux dans la poésie d’Emily Dickinson), on consultera cette notice de Charlotte Melançon
Raymond Schroyens
Raymond Schroyens werd geboren te Mechelen op 14 maart 1933. Als koorzanger van het befaamde Mechelse Sint-Romboutskoor kwam hij als negenjarige knaap in contact met Jules Van Nuffel en Flor Peeters. In 1950 schreef hij zich in aan het toen nog in Mechelen gevestigde Lemmensinstituut om er les te volgen bij Staf Nees, Marinus de Jong en Jules Van Nuffel. Na zijn legerdienst studeerde hij vanaf 1954 orgel aan het Koninklijk Vlaams Conservatorium te Antwerpen bij Flor Peeters. Van 1958 tot 1960 was hij als kapelmeester verbonden aan de Sint-Alfonsuskerk te Dearborn in Michigan (VS), van 1960 tot 1963 muziekleraar en koorleider aan het Scheppersinstituut te Mechelen en het Sint-Stanislascollege te Berchem. In 1963 begon Raymond Schroyens aan een administratief-culturele carrière van 30 jaar bij de klassieke zender Radio 3 van de BRT. Als musicus was hij van 1962 tot 1972 actief als klavecinist bij Concertino J.B. Loeillet te Mechelen. Vanaf 1970 tot zijn pensioen in 1993 gaf hij klavecimbel aan het Koninklijk Conservatorium van Brussel. In 1975 werd hij leraar klavecimbel aan het Stedelijk Muziekconservatorium te Mechelen, wat hij bleef tot 1988. Verder engageerde Raymond Schroyens zich als bestuurslid van diverse organisaties: lid van de raad van bestuur en muziekadviseur van het Festival van Vlaanderen Mechelen (1983-2000), voorzitter van Ars Organi Mechelen (1994-1999) en voorzitter van de Vlaamse Federatie voor Jonge Koren te Gent (1996-1997).
©2003 Ruben Bruneel, voor Muziekcentrum Vlaanderen en MATRIX
Raymond Schroyens est né à Mechelen (Malines – Belgique) le 14 mars 1933. Choriste au sein du réputé Sint-Romboutskoor de Malines, à l’âge de neuf ans, il cotoya Jules van Nuffel et Flor Peeters. En 1950, il s’inscrivit au Lemmensinstituut, encore situé à l’époque à Malines, pour y suivre les cours de Staf Nees, Marinus de Jong et Jules van Nuffel. Après son service militaire, il étudia l’orgue à partir de 1954 auprès de Flor Peeters, au Conservatoire Royal Flamand d’Anvers.
De 1958 à 1960, il est maître de chapelle de l’église Saint Alphonse à Dearborne, Michigan (USA), de 1960 à 1963, professeur de musique et chef de choeur au Scheppersinstituut de Malines et au Collège Saint Stanislas de Berchem. En 1963, Raymond Schroyens débute une carrière de 30 années au service culturel de l’antenne de musique classique de la BRT, Radio 3. En tant qu’instrumentiste, il a participé de 1962 à 1972 au Concertino J.B. Loeillet de Malines, où il tenait le clavecin. De 1970 à sa retraite en 1993, il fut professeur de clavecin au Conservatoire Royal de Bruxelles. De 1975 à 1988, il enseigna également le clavecin au Conservatoire Municipal de Musique de Malines. Raymond Schroyens s’est également engagé auprès de diverses organisations : il fut membre du Conseil d’Administration et conseiller musical du Festival de Flandres à Malines (1983-2000), président de Ars Organi Malines (1994-1999) et président de la Fédération Flamande des Choeurs de Jeunes de Gand (1996-1997).
©2003 Ruben Bruneel, pour le Musiekcentrum Vlaanderen
Traduit du néerlandais par Bruno Parmentier, pour Le Madrigal de Lille.
Six Dickinson miniatures
Traduction : Keith Geaney & Michel Pirson pour Le Madrigal de Lille
Summer for thee
Summer, summer for thee
Grant I may be,
When summer days are flown !
Thy music still when whippoorwill
And oriole are done!
For thee to bloom,
I’ll skip the tomb
And sow my blossoms o’er.
Pray gather me, Anemone,
Thy flower for evermore!
Puissé-je être l’été pour toi, quand les jours d’été seront partis !
Puissé-je être la musique pour toi, quand les rossignols et les loriots auront cessé de chanter !
Pour que tu fleurisses, je passerai outre la tombe, Et la sèmerai de mes fleurs,
Ò, cueille-moi, Anémone, Comme ta fleur pour toujours !
Alter? When the hills do
Alter? When the hills do,
Falter? When the sun
Question if his glory be the perfect one.
Surfeit? When the daffodil doth of the dew:
Even as herself, o friend,
I will of you!
Changer ? … Quand les collines changeront,
Hésiter ? … Quand le soleil hésitera,
Demande-toi si sa gloire est la gloire parfaite.
En avoir assez ? Quand la jonquille en aura eu assez de la rosée,
Là, mon ami, je me serai lassée de toi !
Heart, we will forget him!
Heart, we will forget him!
Heart, you and I, tonight.
You may forget the warmth he gave,
I may forget the light.
When you have done, pray, tell me,
That I my thoughts may dim.
Haste! Lest while you’re lagging,
I may remember him.
Lui, mon coeur, nous l’oublierons, toi et moi, ce soir !
Tu oublieras peut-être la chaleur qu’il a apportée,
J’oublierai peut-être la lumière.
Quand tu auras tout oublié, dis-le moi,
Que j’estompe mes pensées;
Vite ! De crainte que, si tu traînes,
Je ne me souvienne de lui !
Parting
My life close twice before its close;
It yet remains to see
If immortality unveil
A third event to me
So huge, so hopeless to conceive,
As these that twice befell,
Parting is all we know of heaven,
And all we need of hell.
Ma vie s’acheva deux fois avant sa fin ;
reste à voir Si l’immortalité me dévoilera
Un troisième événement
Aussi immense et aussi inconcevable
Que les deux qui sont déjà arrivés,
Partir est tout ce que nous connaissons du Ciel,
Et tout ce que nous avons besoin de connaître de l’Enfer.
I took my power in my hand
I took my power in my hand
And went against the world;
‘T was not so much as David had,
But I was twice as bold.
I aimed my peble,
But myself was all the one that fell.
Was it Goliath was too large,
Or only me too small ?
J’ai pris en main mon pouvoir
Et je me suis opposé au monde,
J’avais moins de pouvoir que David,
Mais je fus deux fois plus audacieux.
Je visai avec mon galet,
mais c’est moi qui fut le seul à tomber.
Goliath était-il trop grand,
Ou seulement moi, trop petit ?
I died for beauty
I died for beauty, but was scarce
Adjusted to the tomb,
When one who died for truth was lain
In adjoining room.
He questioned softly why I failed?
« For beauty », I replied
« And I for truth – the two are one,
We brethren are », he sai.
And so, as kinsmen met anight,
We talked between the rooms,
Until the moss had reached our lips,
And covered up our names.
Je suis mort pour la beauté, mais j’étais mal ajusté à la tombe,
Quand quelqu’un qui mourut pour la vérité, fut couché dans une tombe voisine.
Il me demanda doucement pourquoi j’étais tombé…
« Pour la beauté », répondis-je,
« Et moi », dit-il, « pour la vérité
– c’est la même chose ! Nous sommes des frères ».
Ainsi, comme des parents qui s’assemblent le soir,
Nous nous sommes parlés d’une tombe à l’autre
Jusqu’à ce que la mousse atteignît nos lèvres,
Et recouvrît nos noms.